ARTICLE
[...] Une fiction.
L’Exposition tant rêvée ne l’a t-elle pas été dès son ébauche ?
On ne saurait expliquer autrement la présence de Rem Koolhaas
au concours, à l’époque bien moins remarqué par ses pairs pour
ses réalisations ‘‘concrètes’’ que par les intellectuels de
l’architecture pour sa construction théorique de Manhattan
dépeinte dans Delirious New-York dès 1978.
Aujourd’hui encore, OMA se pare d’une stature internationale
grâce à des écrits tels que S,M,L,XL paru en 2005.
« Un roman sur l’architecture » d’après son auteur, soit sous
la forme d’un impressionnant recueil d’essais, de manifestes,
d’extraits de journaux intimes, de récits de voyage,
de carnets de route, photographies, plans architecturaux,
croquis entre autres, qui concourent en méditations relatives
à la ville contemporaine - à l’instar du «manifeste rétroactif»
du manhattanisme rédigé de la même main trois années
avant la création de l’Office.
La nomination de Koolhaas pour l’Exposition constituerait ainsi
une reconnaissance des pratiques discursives des architectes,
voire un aveu de la visée heuristique « d’examiner nombre de
concepts architecturologiques sous l’angle de la fiction,
pour la bonne raison que toute théorie est fiction si par
ce mot on entend ‘‘création de l’imagination’’ », et que,
plus encore, la fiction théorique tendrait à « décrire,
interpréter, voire expliquer des phénomènes quand il n’est pas
possible de produire une preuve ou avant que cela soit possible ;
[permettant ainsi d’] échafauder une pensée, un questionnement,
sans passer par la voie stricte de la formalisation scientifique ».
Cependant, l’éventail des articles de revue, des cahiers de recherche,
des entretiens, des manifestes, des récits, des discours critiques et
des ouvrages historiques confrontés ici, proposant des angles de vue
descriptifs et analytiques d’une part, narratifs voire théoriques
d’autre part - et ce en amont, en aval, ou en cours de projet -
semblent questionner à demi-mots « l’oxymore méthodologique » que
constitue la fiction théorique, en juxtaposant le vocabulaire du récit,
de la narration et de son contenu imaginaire et symbolique,
avec celui de la rationalité, de la démonstration scientifique.
Comment cette fiction paradoxale proposée pour l’Exposition de 1989,
ne prétendant nullement à la réalité - contrairement à l’hypothèse -
peut-elle aider Koolhaas à faire émerge une connaissance authentique
du réel à travers un projet, consistant pourtant en une
« construction mentale » qui l’écarte a priori de la réalité ?
Comment l’actuel récit d’OMA sur ce projet négocie avec cet inédit
renversement de valeurs théoriques, de la fiction comme projet
au projet-fiction, théorie incarnée ?
à lire